jeudi 1 août 2013

TOUT LE MONDE PARLE DE CRISE: QU'EN PENSE UN ASSOMPTIONNISTE?

Depuis un certain temps j’essaie d’être attentif aux différentes conversations de groupes où je me trouve selon les contextes. Je suis en contact avec les laïcs comme avec les religieux. Il est vrai que tous nous sommes frappés par la crise financière. L’impression que j’ai est que cette crise semble être plus dramatique chez les religieux que chez les laïcs. En fait, ça peut se justifier par la façon dont nous nous comportons vis-à-vis du matériel ou par notre discours à ce propos. Apparemment, avec tous les exploits de la technologie aujourd’hui, nous avons plus envie de ce à quoi nous avons pourtant renoncé. Nombreux, -s’il faut seulement partir de leur discours- semblent regretter leur choix. Jamais le soleil ne couchera sans qu’on tienne un discours qui fleure l’envie du ‘’matériel digital’’ (laptops, smartphones, voiture de luxe…)   

Très souvent, il m’arrive de beaucoup réfléchir sur la formation dans la vie religieuse en général et dans l’Assomption en particulier. La petite connaissance que j’ai du Père Emmanuel d’Alzon et mon expérience de vie religieuse en l’Assomption me font tenir à cette conviction : L’intuition première du Père Emmanuel d’Alzon à son époque n’est pas dépassée aujourd’hui en ce sens que, le monde a encore et toujours besoin des hommes qui fassent de la passion du Christ une vie pour eux-mêmes et pour les autres.

A mon avis, il y a aujourd’hui une certaine ressemblance d’événements qui peuvent freiner la croissance de la vie spirituelle chrétienne comme réponse humaine à l’initiative divine[1], mais aussi des événements qui peuvent inciter l’homme à s’armer spirituellement pour donner le Christ au monde. La situation de crise aujourd’hui, serait selon moi un de ces événements et  nous aiderait à prendre plus conscience de la bonté divine dans nos vies au lieu de penser que nous pouvons tout résoudre de nous mêmes.  

Le père Emmanuel d’Alzon était un homme d’intériorité et il réfléchissait beaucoup sur la réalité de son temps et du monde entier. Dans ce sens, il a été marqué par la Révolution qui selon lui était à la base de beaucoup des maux de la société de son époque. Il s’est reconnu instrument de Dieu de par sa foi chrétienne et il a voulu lutter contre ces maux en attaquant leur racine. Pour y arriver, il a pris conscience qu’il était spécialement le serviteur de Jésus-Christ et que toutes les affections de son cœur, toutes les puissances de son être devaient tendre vers Lui. Le Christ était donc sa vie (E.S. p.20 ; Directoire, p.15).

Tous les moyens utilisés pour combattre la Révolution (enseignement, prédication, communication par la presse, les œuvres sociales et les pèlerinages) visaient à redonner le Christ au monde qui l’oubliait déjà. C’est là son héritage spirituel, purement christologique, qui nous permet aujourd’hui de nous situer par rapport à notre temps qui a ses hauts et ses bas. Cette spiritualité nous reste encore actuelle, en ce sens qu’elle nous stimule à chercher le Christ, à désirer le saisir comme le père d’Alzon lui-même l’a cherché et non pas seulement comme il l’a compris. C’est sous cet angle je crois que nous pouvons comprendre et essayer de former à la vie spirituelle Assomptionniste.

Pour un Assomptionniste ‘’homme de son temps’’, former à la vie spirituelle assomptionniste, c’est ramener le religieux à découvrir son identité dans ce Christ pour pouvoir vivre avec détermination l’idéal de le donner aux autres dans un contexte bien précis de crise généralisée. Notre fondateur a été un passionné et un héraut de la passion du Règne de Dieu. Son disciple dans une société où Dieu est menacé dans l’homme et l’homme comme image de Dieu (R.V.4) doit désirer en premier lieu la passion du Règne de Dieu et doit savoir se servir des moyens que le père d’Alzon a utilisés et qui sont encore efficaces. Evidement, ce n’est pas avec la prétention d’épuiser les causes de cette crise, ni leur apporter une solution magique.

Tout le monde parle crise aujourd’hui. En écoutant les religieux en parler, nombreux sont comme déçus de rester dans leur congrégations respectives quand la source a tari. On a l’impression que si certains trouvaient une occasion de gagner facilement l’argent quelque soit le moyen, ils sauteraient dessus au détriment de leur objectif religieux. Avons-nous encore le temps de nous demander pourquoi nous sommes devenus religieux ? Ou alors, pouvons-nous dire que nous avons bien compris que nous ne sommes pas à notre place aujourd’hui ? Et si ce n’est pas ici que nous devons être, qu’attendons-nous pour aller où nous devons être? Pourquoi hésitons-nous d’aller seul alors que nous sommes venus seul ?

Le père d’Alzon a vécu comme nous une période de crise d’écus. Il en a souffert dans son corps et dans son âme. Il en a enduré des humiliations, parce que il fallait frapper à toutes les portes qui paraissaient opportunes. En quoi son comportement pendant cette période et le combat mené pour lutter contre cette crise demeurent-ils une source d’inspiration pour l’Assomption aujourd’hui ? Faut-il nous décourager de notre choix parce que nous n’arrivons pas à satisfaire nos aises individuelles? Est-ce là vraiment notre besoin ? Ne nous confondons-nous pas au monde alors que nous prétendons le quitter ? Ne pensons-nous pas ne pas avoir ce dont nous avons besoin, parce que avons perdu de vue le Christ Lui-même ?

Chers confrères, aînés et cadets, ne nous faisons pas ravir notre espérance par la crise financière de peur qu’elle ne devienne une double crise : financière et spirituelle. Nos commentaires sur cette crise, aident-ils nos confrères ou les laïcs qui nous écoutent à rencontrer Dieu, à chercher en Dieu le sens de leur vie ? En quoi est-ce que notre discours sur la crise financière peut être pour les jeunes d’aujourd’hui, une bonne nouvelle, et éveiller chez certains le projet du don total au Seigneur ? Notre contact personnel et communautaire avec Jésus-Christ est-il suffisant et signifiant ? Pouvons-nous parler de proportion entre nos engagements apostoliques et notre vie de prière ? N’est-ce pas là une autre crise qui risquerait d’être ‘’la crise de crises’’ ?    

Pour lutter contre cette crise, autofinancement oui, mais aussi conversion. Conversion comprise ici dans le sens d’intensifier nos relations personnelles avec le Christ. Sans lui, nos possibilités sont bien plus réduites. S’il ferme, personne n’ouvre (Apocalypse) et s’il ouvre, personne ne ferme. L’expérience de chacun de nous peut témoigner à l’infini de ce que Jésus affirme dans l’Evangile : sans moi, vous ne pouvez rien faire. N’est-ce pas pour nous dire, ‘’avec moi vous pouvez tout’’ ? Tous et partout nous souhaitons un changement dans divers domaines…Cependant quand nous désirons ce changement, nous voyons plus les autres et non pas notre part. Nous oublions souvent que les défauts sont comme les phares d’une voiture, seulement ceux des autres nous aveuglent. Mais avons-nous déjà pensé un jour que je dois changer pour que la société change ? Il nous semble que le plus grand et triste de péchés est de ne pas réaliser qu’on est pécheur. A quel niveau suis-je aussi responsable de cette crise ? Malgré certains efforts, la crise continue à être un grand mal dans notre société. On n’arrêtera ce fléau que lorsque chacun se lèvera pour crier avec toutes ses forces : ‘’non, je ne veux pas être complice de cela’’. Rappelons-nous chers confrères, une vertu négligée, meurt ; un vice négligé, grandit. 
P. KIZITO VYAMBWERA Henri, aa (Nairobi/Kenya)