Trois
jours après la commémoration du premier anniversaire de l’assassinat du Père
Vincent Machozi, l’ASUMA-USUMA [Association des Supérieur(e)s Majeur(e)s] s’est
mobilisée comme un seul homme pour célébrer les prévenances de Dieu pour son
Église à travers le témoignage de vie d’un prophète de notre temps :
Vincent Machozi ne mourra jamais ! C’est notre devoir de mémoire !
Dans
cette dynamique, le Père Provincial des Augustins de l’Assomption, Protais
Kabila Kalondo, n’a ménagé d’aucun effort pour restituer et rendre compte des
intuitions fondamentales du Père Vincent Machozi, telles que dépeintes dans son
entretien avec les membres du Conseil de Province Assomptionniste d’Afrique :
Quel type d’apostolat Assomptionniste dans un Congo en
faillite ?
Chers frères, membres du Conseil de Province de la Province d’Afrique,
l’honneur m’échoit de partager avec vous une réflexion sur ce que peut être notre apostolat
assomptionniste dans un Congo en faillite (a
failed state). Je sais que, d’après notre Règle de Vie # 93, le Conseil de Province « a un rôle
consultatif » et un pouvoir de décision en certaines matières de la vie
économique de la Province. Avec votre
statut de consultants ou d’experts du Provincial, vous avez l’obligation de
vous informer et de vous spécialiser en plusieurs domaines de la vie, y compris
la vie sociopolitique de notre pays. Ceci vous permet d’être fidèles à l’Esprit du chapitre général de 2011 qui demande au Conseil
de chaque Province de vérifier régulièrement « si les œuvres éducatives,
paroissiales, et de communication servent la promotion intégrale de l’homme et
le développement.[1] »
C’est ainsi que notre réflexion
partira des quelques constats assez troublants en rapport avec la situation
sociopolitique de notre pays en faillite
avant de proposer quelques voies et moyens par lesquels les œuvres apostoliques
de la Province d’Afrique (Paroisses, Ecoles secondaires et Universitaires,
Maisons de formation, Radio Moto, Plantations, etc.) peuvent participer à la renaissance de la R.D.Congo et
pourquoi pas de l’Afrique.
Point de départ de la
réflexion : Le contraste entre la vie sociale et la vie ecclésiale en R.D.
Congo
Constats troublants :
1.
Parlant de l’Afrique, le théologien Jesse
Mugambi s’interroge :
« Comment expliquer que le continent dit le plus religieux de tous soit
aussi le plus pauvre?[2] ».
Appliquant l’interrogation de Mugambi sur la
R.D.Congo, nous nous interrogeons aussi : Comment expliquer que la
R.D.Congo, le pays le plus chrétien et le plus catholique d’Afrique soit aussi
le plus pauvre sur tous les plans, le plus dominé par des puissances et des lobbies extérieures, et le pays où la perspective d’une libération
du peuple par lui-même paraît utopique 55 ans après son accession à
l’indépendance politique ?
2.
Partant de la description du Continent Africain
par John Mbiti comme « notoirement religieux », le théologien
sud-africain Tinyiko Sam Maluleke se demande, à juste titre, si la religiosité de l’Afrique ne fait pas
partie du Problème africain au lieu d’être partie prenante de la solution.
« Où est la main de Dieu
dans l’histoire de l’Afrique ? » poursuit Maluleke.
3.
Comment expliquer que l’assomption
congolaise qui fait passer ses membres par un minimum de 10 ans d’études
supérieures avant d’entrer dans la
vie apostolique active dépende
de l’aide extérieure dans une société (celle de Beni-Lubero par exemple) qui
compte des milliardaires qui n’ont fait que l’école primaire pour la
plupart ? Les assomptionnistes congolais reçoivent-ils une formation
adaptée à leur pays en
faillite ? Ne reçoivent-ils pas une formation calquée sur l’Occident où l’Etat n’est pas en faillite car
remplissant encore la plupart de ses devoirs régaliens envers ses
citoyens?
Vie Sociale, économique, et politique de la R.D.Congo :
-
La R.D.Congo se dit depuis 1960 un pays
indépendant, une république démocratique engagée dans la révolution
de la modernité mais où plusieurs grandes puissances font
la loi dans tous les domaines y compris ceux liés à la
souveraineté de l’Etat, à
savoir, le choix des leaders, le financement et le contrôle des élections, du
recensement des citoyens, de la défense de l’intégrité nationale, etc.), un
pays où les droits et les
libertés fondamentales des citoyens sont bâillonnés (liberté d’opinion, liberté d’expression, etc.) au point que les analystes politiques
classent la R.D. Congo parmi les pays en faillite.
-
Depuis 1996, la R.D.Congo est le théâtre des
massacres des populations civiles par des milices, rebellions et armées de la
Région des Grands Lacs Africains et dont le bilan s’élève d’après International
Rescue Committee, Human Rights Watch, Global Transparency, à près de 10 millions des tués dont plus de 6 millions dans les
seules provinces de l’Est de la R.D.Congo où l’on trouve des minerais stratégiques du troisième millénaire
(Coltan, cassitérite, tungstène, or, pétrole,
etc.) très convoités par
diverses lobbies et multinationales.
-
Aux millions des congolais tués, il faut ajouter des millions
des déplacés, des milliers des disparus (dont nos trois pères assomtionnistes),
des millions des veuves et orphelins laissés pour compte, etc.
-
La Menace du SIDA dans les grandes villes
est inquiétante selon les experts
de la santé.
-
Le taux de pauvreté est inquiétant : Avec
un salaire journalier de moins d’1US$ (9200 FC) par jour, le congolais vit en
dessous du seuil de pauvreté.
-
La R.D.Congo bat aussi le record des enfants mal
nourris avec ce que cela comporte comme maladies mortelles (Kwashiorkor,
malaria, etc.). Plus de la moitié
des congolais vivent d’un seul repas maigre par jour. La R.D.Congo parait ainsi
comme un vaste empire de la faim, des malades, des pauvres, des analphabètes,
des chômeurs, etc.
-
La moyenne d’âge du congolais est de 45 ans pour
les hommes et 50 ans pour les femmes !
-
Les infrastructures routières sont inexistantes
ou en mauvais état, un fait qui rend difficiles la communication ainsi que les
échanges commerciaux entre les congolais.
-
S’agissant de Beni-Lubero, les analystes
relèvent un plan d’un quadruple anéantissement de Beni-Lubero au point de vue
économique, démographique, politique, et social par une coalition
internationale utilisant dans l’ombre
les élus du peuple et l’appareil de l’Etat Congolais pour satisfaire
leurs intérêts machiavéliques. (On dit souvent que le malheur de la R.D.Congo
provient du fait qu’elle est devenue un Etat avant d’être une nation).
Vie
ecclésiale de la R.D.Congo :
-
1 catholique africain sur 5 est un congolais de
la R.D.Congo qui compte 47 diocèses.
-
Les petits et Grands Séminaires sont pleins des
candidats au sacerdoce. Le nombre d’ordinations sacerdotales par an et par
diocèse est très impressionnant. Les
Noviciats et autres maisons de formation pour religieux sont pleins des frères
et des sœurs au point que le supérieur
général a.a. Gervais Quenard avait, au bout d’une visite canonique au Congo,
parlé d’un « miracle des vocations noires ». Une moisson
abondante des vocations dans un océan de misère !
-
Le dimanche, les églises sont pleines à craquer, avec des liturgies
somptueuses qui préparent les fidèles plus à la vie bienheureuse de l’au-delà qu’à une vie heureuse sur cette
terre.
-
La quantité des messes célébrées, la fréquence
et le nombre des sacrements administrés,
le nombre des prières pour chaque circonstance de la vie, sont très impressionnant
au point que certains observateurs (John Mbiti) ont qualifié le congolais (et l’africain en
général) comme foncièrement religieux.
-
L’épiscopat congolais recommande la
neutralité des membres ordonnés de l’Eglise en matière politique
ou de choix politique laissant ainsi la carrière politique aux laïcs. Vu le manque de formation et de préparation
adéquates des laïcs congolais à des carrières
politiques à même de
transformer le Congo en faillite en un Congo debout, sachant que l’Eglise
Catholique est la seule institution congolaise viable qui forme et spécialise
ses membres dans tous les domaines de la vie, y compris la politique, peut-on
inventer pour les prêtres et les laïcs
congolais un type d’apostolat sociopolitique à même de transformer une R.D.Congo en faillite en une R.D.
Congo prospère ?
D’où la
question : Quel type d’apostolat assomptionniste dans ce contexte
caractérisé par un fossé entre la vie sociopolitique et la
vie ecclésiale ?
Piste évangélique : Un apostolat
assomptionniste de Bon Samaritain
La parabole du Bon Samaritain (Luc 10,
29-37) : Jésus nous demande en tant que ses disciples assomptionnistes
d’être des Bons Samaritains, c’est-à-dire, les prochains des victimes
de la violence, du banditisme, etc.
La Parabole du
Bon Samaritain reproche à
ceux qui nous ressemblent, à
savoir, les prêtres et les lévites, d’être indifférents aux souffrances des
victimes pour des motifs de ministère de la religion, des motifs de piété, de pureté, de noblesse, de manque de temps, de peur d’être
impliquer dans une recherche longue et onéreuse de la solution au problème de
la victime.
Le Samaritain
s’est montré disciple du
Christ à cause de sa pitié, de sa compassion, de
son engagement sans limites en faveur de la victime.
Qu’en est-il de moi, religieux ou prêtre
assomptionniste du Nord-Kivu, une province qui ressemble aux routes de Jéricho
et où les victimes de la violence politique se comptent par millions ? Ne
suis-je pas comme le prêtre et le lévite qui passèrent outre la victime par respect
du prescrit canonique de leur ministère?
L’au-revoir du Christ à ses disciples (Mt
28,19-20) peut nous donner une certaine consolation, un sentiment de faire dans
notre apostolat paroissial ce que Jésus
nous a dit de faire, à savoir, aller dans le monde entier, baptiser les
gens au Nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit. Mais, d après Jésus,
aller baptiser les gens à travers le monde ne suffirait pas si nous n’apprenons
pas à ceux que nous baptisons, à faire, à observer, à obéir à tout ce que Jésus
a prescrit et commandé à ses disciples, à savoir, aimer son prochain comme
soi-même jusqu'à donner sa vie pour lui, être le prochain des victimes, nourrir
les affamés, vêtir les Nus, secourir et prendre soins des malades et des
prisonniers, aller vers les exclus de la société et les ramener au sein de la
communauté des croyants, donner à boire aux assoiffés, accueillir les étrangers (Mt 25, 35-44), etc.
Comme Assomptionnistes vivant en
communauté apostolique, sommes-nous collectivement proches des victimes de
notre paroisse, diocèse, territoire, province, pays ?
Notre apostolat va-t-il au-delà de
l’administration des sacrements, la célébration des messes, les réunions
pastorales pour intégrer les questions sociopolitiques, le combat de notre
peuple pour la vie, la sécurité, la santé, ainsi que tout ce qui fait un
vrai disciple de Jésus?
Quand nous faisons l’apostolat des messes,
rappelons-nous du Chant (Chants Notés, Tome 3) que nous chantons souvent :
« Une messe commence quand un
monde se construit, notre vie est la semence d’une Eglise qui fleurit ! » :
En quoi notre apostolat des messes que nous célébrons est-il la semence d’une église qui fleurit, d’une
R.D. Congo qui se reconstruit?
Dans Luc 9,
13 : Quand Jésus demande à
ses disciples de nourrir une foule
de cinq mille hommes, la première réaction des disciples est de renvoyer
la foule car ils n’avaient que cinq pains et deux poissons. Mais Jésus leur dit
« Donnez-leur vous-mêmes à
manger ». A nous qui brandissons notre pauvreté des moyens comme excuse de
ne pas répondre aux appels des affamés
de notre société congolaise, Jésus dit
ce qu’il avait dit à ses
disciples : « Donnez-leur
vous-mêmes à manger».
La Règle de Vie de l’Assomption pose
quelques jalons de la résolution du contraste congolais entre la vie sociale et
la vie ecclésiale
En effet, la Règle de vie de l’Assomption invite les
assomptionnistes engagés pour
l’avènement de l’ART dans notre monde à
faire preuve d’audace, d’initiative ; à vérifier régulièrement la qualité de notre service
apostolique, et à étudier les
choix et les adaptations nécessaires de notre apostolat :
-
La Règle de Vie n®4 : « L’Esprit
du Fondateur nous pousse à faire nôtres les grandes causes
de Dieu et de l’homme, à nous porter là
où Dieu est menacé dans l’homme, et l’homme menacé
comme image de Dieu », que « nous avons à faire preuve
d’audace, d’initiative et de désintéressement, dans la fidélité à
l’enseignement et aux orientations
de l’Eglise.»
-
Le n® 18 de notre Règle de Vie nous
décrit les traditionnelles formes de
notre apostolat d’enseignants (études, moyens de communication sociale,
pèlerinages, œcuménisme, ministère paroissial, œuvres sociales, laïcs, jeunes
Eglises) et nous invite à
nous rendre sans cesse « disponibles et capables d’invention ».
-
Au numéro 21, la Règle de Vie nous invite à vérifier « régulièrement
la qualité de notre service apostolique » et à étudier « les
choix et les adaptations nécessaires ».
D’où les questions suivantes que, comme prêtres assomptionnistes,
nous devrions nous poser :
-
Quel type d’apostolat et de prêtre
assomptionniste avons-nous ou devrions-nous formés pour les déplacés, les refugiés, les blessés de guerre, les familles des
disparus, les veuves et les orphelins, les affamés, les mal nourris, les malades, les prisonniers
d’opinion ?
-
Quel type d’apostolat devrions-nous avoir
pendant la période électorale ou de campagne électorale pour aider à faire élire des personnes qu’il
faut à la place qu’il faut afin de changer la face de la
R.D.Congo ?
-
Partant de notre Règle de Vie, faisons-nous
preuve d’audace, d’initiative dans notre apostolat afin de relever le défi de
la famine, de la malnutrition, de la pauvreté, des tueries, enlèvements, etc.,
en R.D.Congo ? Sommes-nous sans cesse disponibles et capables d’invention
pour adapter notre apostolat à
la situation catastrophique de notre pays et répondre aux multiples défis que cela
comporte ?
-
Fidèles à notre Règle de vie n®
5, qui nous rappelle que « nos communautés sont au service de la vérité,
de l’unité et de la charité », quel
type d’apostolat dans un contexte dominé
par le mensonge et l’instrumentalisation des faux conflits entre les individus
et les ethnies ?
-
Notre apostolat vise-t-il à mettre fin à la guerre et aux massacres des
populations civiles ? N’avons-nous pas tendance de nous dérober à cette tâche qui parait difficile en la laissant aux politiciens dont nous connaissons
pourtant l’insouciance et la loyauté au service des intérêts étrangers ?
-
Quels sont nos projets et initiatives
apostoliques pour répondre aux besoins apostoliques des déplacés, des refugiés, des blessés de guerre, des affamés, des familles des disparus,
etc.?
-
comment formons-nous les jeunes assomptionnistes
(postulants, novices, philosophes, théologiens, les laïcs de nos oeuvres à répondre efficacement aux besoins
des victimes de la guerre et au défi de la transformation sociopolitique
de notre pays ?
-
Combien d’assises ou sessions axées
spécifiquement sur la vérification, l’évaluation de notre service apostolique avons-nous organisés pour dégager ensemble les
adaptations nécessaires?
-
Quel geste
prophétique pouvons-nous poser comme province assomptionniste pour montrer
notre engagement pour la résolution du conflit congolais et notre solidarité
avec les victimes du même conflit ?
-
Comment vivre la foi chrétienne et confesser la
foi en Jésus-Christ libérateur des opprimés, des affamés, dans un pays envoi de devenir un empire des
pauvres et des affamés ?
2 Pistes de solution au contraste congolais par
les théologiens africains Jean-Marc Ela (camerounais), Emmanuel Katongole
(ougandais), Tinyiko S. Maluleke (Sud-Africain)
a. Jean-Marc Ela (Camerounais), à travers toute son œuvre, propose
de repenser la foi chrétienne pour y insérer la prise en charge par l’Eglise de
la vie sociale et matérielle de l’africain. Ainsi, par exemple, apprendre à nos fidèles
de brousse des techniques agricoles pour produire plus et à creuser des latrines pour
l’amélioration de leur santé
est aussi important voire spirituel qu’à
leur apprendre à réciter le
chapelet de la miséricorde divine.
En partant de
l’histoire de l’Afrique marquée par la colonisation, l’exploitation par des
grandes puissances et des multinationales, Jean-Marc Ela propose la recherche
d’une autre histoire, d’une autre société, d’une autre humanité, d’un autre
système de production, d’un autre style
de vie commune, d’un autre type d’éducation et de formation, d’un autre type
d’apostolat, etc, où la place de l’africain et toute sa vie
matérielle occupent une place prépondérante. La recherche d’une histoire africaine
alternative à l’actuelle doit
avoir lieu dans la vie de l’Eglise elle-même. Autrement dit, l’Eglise doit être le locus du changement voulu. L’Eglise
doit être l’histoire alternative voulue. Ceci implique un abandon de ce que ELA
appelle « un christianisme constantinien moribond » qui au nom d’une
fausse universalité a déjà réduit les églises d’Afrique à des « simples décombres institutionnels et
canoniques » caractérisés par des formes de piété et des dévotions
sans rapport avec la vie réelle actuelle, l’apoliticisme des missionnaires
occidentaux, une spiritualité
désincarnée et orientée vers le salut des âmes et non de la personne intégrale,
une spiritualité de distribution de
visas pour l’éternité, etc. Pour Ela, dans un continent marqué par la domination, la famine,
l’exploitation... on ne peut pas confiner le christianisme à une religion, une spiritualité de
l’au-delà, et l’Eglise à une agence
des soins pastoraux, une province administrative de Rome, une mimique du christianisme occidental du
Moyen-âge. L’Eglise africaine doit être une Eglise authentique, créatrice de
valeurs africaines authentiquement chrétiennes. La mimique de l’Eglise du
Moyen-âge fait que, selon ELA, même ce qu’on appelle « jeunes
églises » africaines sont nées avec des « symptômes d’une sénilité
précoce ». Pour Ela, si les Eglises africaines n’arrivent pas à inventer
des nouveaux styles de présence dans le monde et d’activités différentes de
ceux de l’Eglise occidentale marquée par l’apoliticisme et la spiritualité
anti-matérielle, le christianisme africain deviendra le lieu d’une aliénation
quotidienne[3].
Cette perspective d’ELA est partagée par Baba Simon, le missionnaire
sans souliers du Cameroun : « Le
temps est arrivé de réinventer le christianisme que nous pouvons vivre avec une
âme africaine »
L’Eglise d’Afrique doit inventer sa propre voix apostolique et
prophétique pour ne pas devenir étranger à la réalité du continent. Cette
invention est possible au prix d’une révision de son langage, de ses
institutions pour en faire des nouvelles capables d’assumer le combat africain
pour le changement.
b. Tinyiko S. Maluleke et Emmanuel Katongole distinguent trois
types d’Eglises que missionnaires, pasteurs, ministres de l’Eglise, et
théologiens bâtissent à
travers le monde et dont un seul type est capable d’aider l’Afrique à assumer le combat africain pour
le changement.
1® Les pasteurs de l’Eglise Pieuse,
celle de Simon de Cyrène (Marc 15 :22 ; Mt 27, 32 ; Luc 23, 26).
Perquisitionné ou voyant Jésus souffrir sous le
poids de sa Croix, Simon de Cyrène accepte la demande de l’Etat juif de porter
la croix de Jésus sans se poser une seule question, telle pourquoi Jésus était
condamné, où s’il y avait motif de
condamnation, et sans savoir à
quoi son aide aboutirait. A la fin du chemin de Croix, en dépit de l’aide de
Simon de Cyrène, Jésus est exécuté. L’Eglise pieuse de Simon de Cyrène se limite ainsi aux gestes
de piété et de bonne morale selon laquelle il est bon d’aider celui qui
souffre, lui donner à manger,
prier pour lui, le réconforter par des paroles pieuses que tout ira bien, le
recommander à la volonté de
Dieu sans chercher à le
libérer de sa peine, le tirer de sa situation malaisée.
Ce qui manque
aux prêtres de l’Eglise pieuse de Simon de Cyrène c’est l’attaque des causes du
mal, l’éradication de la racine du mal pour donner à la victime une paix durable.
I.e. Nos visites
aux prisonniers de Kakwangura laissent intact l’injuste système judiciaire
congolais et les causes des infractions ou délits commis par les pensionnaires
de Kakwangura. On se console d’avoir posé un geste louable même si le prisonnier
bénéficiaire de ce geste va mourir demain de manque de soins de santé.
2® Les pasteurs de l’Eglise
pastorale, celle de Joseph d’Arimathée (Marc 15,43 ; Mt 27,
57 ; Luc 23, 50-53)
Joseph d’Arimathée se montre compatissant envers un
Jésus déjà mort. Pendant que Jésus était vivant, Joseph, un noble membre du
Grand Conseil Juif, n’avait jamais voulu interrogé le système judiciaire de
Pilate ni initier une démarche pour le changer.
Après la condamnation
de Jésus par les autorités religieuses juives et son exécution par le
gouvernement juif, Joseph apparait sur scène pour enterrer dignement Jésus, le
condamné.
La limite de
cette église pastorale est celle de s’occuper des gens après leur mort. C’est
aussi celle qui se veut servante des pauvres sans chercher comment éradiquer
les systèmes créant la pauvreté.
Exemples :
a.
Les deuils des malades qui meurent faute
d’argent pour se faire soigner ont des entrées de loin supérieures à la somme qu’il aurait fallu pour
que les malades morts recouvrent leur santé.
b.
La
pratique actuelle du « Silwa mughuma » fait cotiser des
milliers des Francs Congolais pour le deuil d’un mort qui ne demandait qu’un
peu d’argent pour sauver sa vie. Y aura-t-il un jour le « silwa
mughuma » pour les soins de santé
des vivants ?
c.
Dans notre province, on a l’habitude de payer le
cercueil pour un parent d’un religieux. Ne serait-il pas mieux de contribuer
aux soins de santé des
parents des religieux pendant qu’ils sont encore en vie pour ne pas tomber dans
le travers de Joseph d’Arimathée.
d.
Les casques bleus de l’ONU à Beni choquent les parents des
victimes des massacres quand ils se complaisent d’acheter des cercueils et de
creuser les tombes des victimes au lieu d’utiliser les gros moyens à leur disposition pour traquer les
tueurs jusque dans leur dernier retranchement afin de mettre fin aux massacres
des populations civiles.
3® Les pasteurs de l’Eglise Prophétique,
celle de Marie de Béthanie (jean 12, 1-8).
Marie de Béthanie est cette femme de
l’Evangile qui brisa toutes les règles de bonne convenance, dépensa beaucoup
d’argent pour acheter un parfum à Jésus, et qui, sans honte, essuya
publiquement les pieds de Jésus avec ses cheveux. Curieusement, Jésus le Saint
homme et l’envoyé de Dieu, ne la rabroue pas. Au contraire, Jésus rabroue Judas
Iscariote qui veut laisser croire qu’il aime les pauvres, que l’argent du
parfum aurait servi les pauvres. Jésus sait que l’amour des pauvres n’est que
sur les lèvres de Judas Iscariote. Avec son parfum, Marie de Béthanie,
préfigure l’Eglise du futur où les femmes auront un rôle à jouer, une
église matérielle différente de l’Eglise pieuse de Simon de Cyrène et de
l’Eglise pastorale de Joseph d’Arimathée.
L’Eglise de Marie de Béthanie s’occupe des vivants, elle honore les vivants,
parfument les vivants, dépensent pour les vivants, une église qui agit selon la
nécessité du moment sans aucune crainte de que dira-t-on. C’est l’Eglise
prophétique dont l’Afrique a besoin, une église des prêtres, des ministres, et
des fidèles qui inventent des
réponses adéquates aux problèmes de l’heure. C’est l’Eglise qui surprend par
son imagination, sa spontanéité et qui n’a que faire des convenances des
systèmes, des traditions rigides sans état d’âme, des principes dits universels
de droit canon... tout cela pour le salut de l’homme vivant. C’est l’Eglise qui
rejoint Jésus pour qui le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le
sabbat. Jésus peut ainsi guérir un malade le jour de sabbat au grand étonnement
de l’establishment juif.
L’Assomption
africaine peut se féliciter du fait que, si l’on en croit le nombre des
religieux, le centre de gravité
de la Congrégation soit passé de
l’Europe à l’Afrique (il en est de même pour le christianisme). Mais quel genre
d’assomptionniste formons-nous en Afrique ? Les a.a. congolais sont-ils capables
d’assumer le combat pour le changement voulu aujourd’hui en R.D.Congo ?
Sommes-nous entrain de former des philosophes, des théologiens capables
d’assumer le combat contre les massacres des populations civiles orchestrés par
des milices au service des lobbies maffieuses internationales ? Les a.a
congolais (ou africains) sont-ils prêts à inventer des voies et moyens pour
sortir la R.D.Congo du traquenard de la pauvreté, de la famine, de la
domination par l’Occident sur tous les plans ?
Points d’Attention pour nos
œuvres apostoliques
-
Paroisses :
a.
Coup
de chapeau pour l’implication bénévole de plusieurs mouvements dans les
célébrations liturgiques, les cérémonies
de fundraising pour divers besoins de la paroisse (constructions, Caritas,
équipement de sonorisation, uniformes, etc.) chacun avec un rôle bien précis.
Question : Ne peut-on faire une même mobilisation des fidèles pour la défense des droits fondamentaux des
paroissiens, la sécurité des paroissiens, la participation active des paroisses
aux mouvements de masse demandant un changement dans un domaine de la vie
commune, l’assainissement du quartier, la création d’une caisse d’épargne ou
d’une petite compagnie de transport, l’appui et la signature d’un contrat avec
un candidat politique originaire de la Paroisse ?
b.
L’information
sur la situation sociopolitique du Diocèse et du Pays : Radio, Télévision,
Journaux, Conférences débat pour les paroissiens sur des sujets d’actualité
sociopolitique, etc. en alternance avec les conférences sur la sorcellerie,
l’envoutement, les dons de l’esprit, etc. Ceci demande que le prêtre
assomptionniste en paroisse applique la demande de Karl Barth pour tout pasteur
et tout théologien : Lire la Bible et le Journal du Matin avec la
même attention et régularité.
c.
Eviter
la dichotomie classique entre un clergé ayant en charge la responsabilité de
l’Eglise et le laïcat responsable des affaires du monde.
d.
Nous
faire aider par les théologiens de la libération : Gustavo Gutierrez (Implication
social de l’Evangile), Leonardo Boff (adaptation des structures de l’Eglise aux
besoins apostoliques du moment, usage de
la méthodologie de la Libération qui cherche à résoudre le mal à partir de ses
racines, de ses causes profondes.
e.
Intégrer
dans nos prédications une interprétation sociale de l’Evangile, des paraboles
(Grain de Moutarde),... On raconte que victimes de la terreur du Caoutchouc
rouge au Kasai demandaient souvent à un missionnaire anglais : « Has the savior you tell us of any power
to save us from the rubber trouble?”[4] (le sauveur dont tu nous parles, peut-il
nous sauver de la terreur du Caoutchouc Rouge ?).
-
Ecoles Secondaires, Maisons de formation,
et Universités :
a.
Nos
écoles devraient prendre le devant des reformes des programmes des cours pour y
inclure plus des sciences sociales et des techniques à même de favoriser
l’auto-prise en charge du congolais.
b.
Le
théologien latino-américain Paulo Freire dans son livre « la pédagogie de
l’opprimé », développe le pouvoir libérateur de l’éducation adaptée à la
situation. Les américains appellent
l’éducation comme le « best
equalizer » (la solution aux inégalités sociales, l’outil de prise de
conscience de l’opprimé de ce qui le maintient captif et le moteur de sa
libération).
c.
Programmes
des cours qui préparent les assomptionnistes pour des missions spécifiques
(langues, lieux d’étude, sciences sociales =Sociologie, Histoire, etc.).
Collaboration entre la Commission de Formation et les Maisons des Formations,
le Conseil Provincial qui nomme les religieux aux études et pour la mission).
d.
Inspiration
du Cardinal Lavigerie qui avait instauré un service militaire pour les
étudiants des Pères Blancs afin de les aider à apprendre la discipline et
l’austérité personnelle, à être des véritables soldats du Christ à l’instar des
Croisades... Lavigerie avait aussi crée en l’époque du kidnapping des esclaves
une Ecole de Médecine pour les esclaves
rachetés pour en faire des Médecins-catéchistes
(ayant constaté qu’en Afrique Religion et Santé étaient étroitement liées) et
comme moyen de sauver l’Afrique par l’africain (Stratégie commune avec Daniel
Comboni : « Saving Africa with
Africa. »[5].)
e.
Créer un espace public où les congolais se rencontrent
pour échanger les idées concernant la situation sociopolitique du moment afin
d’arriver à des décisions, à l’instar de l’aréopage d’Aristote, town meetings
de la Nouvelle Angleterre, Coffee Houses
d’Angleterre.... L’objectif étant de susciter l’intérêt de tous pour les
affaires publiques et stimuler une action concertée, la participation de
chacun, etc.
-
Radio Moto
a. Devenir
un espace public d’information vraie et objective,
b. Plus
de programmes adaptés à la situation sociopolitique et orientés vers
l’auto-prise en charge pour la renaissance de la R.D.Congo.
Conclusion
-
L’apostolat
de l’Assomptionniste congolais est à repenser et à redéfinir ensemble et en
communauté apostolique à la lumière du
contexte historique et sociopolitique actuel de la R.D. Congo (et de l’Afrique
en général). Les types d’Eglises esquissés ci-haut peuvent nous donner des
éléments pour définir un apostolat
adapté à notre situation actuelle de guerre nous imposée par des grandes
puissances, des lobbies financières multinationales, avec une complicité de nos
dirigeants au plus haut sommet de la vie politique nationale.
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Le type d’assomptionniste pour un Congo en
faillite est le Père d’Alzon lui-même qui fut un homme de son temps, un homme
d’Eglise, un inventeur des nouvelles formes d’apostolat. L’Evangile, La Règle
de vie de l’assomption nous donnent plusieurs caractéristiques de
l’assomptionniste qu’il faut pour un Congo en faillite. Ce qui nous reste,
c’est de les vivre individuellement et collectivement, accepter que personne
d’autre que nous-mêmes ne fera advenir le Règne de Dieu en nous, autour de nous, et dans notre Congo
en faillite.
Se convaincre
que nous sommes ceux qui sont attendus par nos concitoyens pour l’avènement de l’ART dans nos divers lieux
d’insertion apostolique, pour l’avènement de la démocratie populaire, pour la
fin des conflits armés
instrumentalisés de
l’extérieur, pour la paix pour tous en R.D.Congo.
Père Vincent Machozi, a.a.
[1] « Fidèles à
Emmanuel d’Alzon… pour l’Avènement du Royaume” : Actes du Chapitre Général des Augustins de l’Assomption, Rome, 2-23 mai 2011, Ss 57,
p.16.
[2] Jesse Mugambi, From
Liberation to Reconstruction, p.33.
[3] Cfr. Emmanuel Katongole, A
future for Africa, Critical essays in Christian social imagination, Scranton:
The university of Scranton presss, 2005, pp 172-175.
[4] Adam Hochschild, King Leopold’s Ghost, A story
of great terror and heroism in colonial Africa, p. 172.
[5] Aylward Shorter, Cross and
Flag in Africa, The White Fathers during
the colonial scramble (1892-1914), Orbis Books, Maryknoll, New York, 2006,
pp117-126.