samedi 3 septembre 2016

MYSTÈRE DE LA NAISSANCE À LA MAISON LWANGA


MYSTÈRE DE LA NAISSANCE À LA MAISON LWANGA



Aujourd’hui, 03 septembre à midi, la maison Saint Charles Lwanga est heureuse de célébrer la prise de croix Assomptionnistes de vingt-deux Novices. Quelle grâce ! Il s'agit de:
1. ADOULA Tonto-Jérémie
2. KAKULE TEGHEKA Grâce
3. KAMBALE MBOGHA Georges
4. KAMBALE MUSE Sylvestre
5. KAMBALE MUSAVULI Jean-Baptiste
6. KAMBALE NDAMBUKO Gervais
7. KAMBALE VWIRUKA Richard
8. KASAO MAHESHE Jules-Philippe
9. KASEREKA MUTUME Trésor
10. KASEREKA NDAKO Maombi
11. KAYONDA Hervé
12. LIMBAYA BATOASO Guelord
13. LUKULA BURU Freddy
14. MALIDRALE MOKILI Crispin
15. MBOMBO BARKWE Bienvenu
16. MUHINDO ISUNGU Vianney
17. MUHINDO MUHASA Angélus
18. MUMBERE NDAKASI Jérémie
19. NTAKOBAYIRA NGEREREZA Louis
20. PALUKU KIHEMBO Dieu-Merci
21. SAWASAWA NGALITSA Pontien
22.TSONGO NZEMBA Richard.


  
Tout a commencé par l’office du milieu du jour suivi des cérémonies de prise de croix auxquelles préside le Père Protais Kabila, Supérieur Provincial d’Afrique, accompagné du Père Tasi, Maître des Novices.









Cet événement de prise de croix marque l'ouverture officielle de l'année canonique du noviciat de la promotion dédiée à Saint Gabriel. Ce qui nous donne des lueurs d'espoir et des raisons d'espérer à un avenir meilleur de la Province d'Afrique ; et, par conséquent, celui de la Congrégation tout entière des Augustins de l'Assomption.


Ainsi expérimentons-nous le « mystère de la naissance », tel que dépeint par Hannah Arendt dans son œuvre monumentale, La crise de la culture [Hannah ARENDT, La crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, Paris, Gallimard, 1972] : la nécessité d'éduquer, de façon à conserver chez les « nouveaux venus » la capacité d'innover et de remettre le monde en place. L’œuvre est focalisée sur le besoin de comprendre et de penser ce que nous faisons. Elle mobilise deux de ses concepts clés d’Arendt : le « monde » et la « natalité », afin d’explorer ce que la crise de l’éducation en Amérique en 1958 dévoilait comme essentiel de l’éducation.


D’où le rôle que l’éducation joue dans toute civilisation : l’obligation que l’existence des enfants entraîne pour toute société humaine. En effet, l’enfant se présente sous un double aspect, à la fois comme un nouvel être humain et comme un être humain en devenir :


« (...) avec la conception et la naissance, les parents n'ont pas seulement donné la vie à leurs enfants ; ils les ont en même temps introduits dans un monde. En les éduquant, ils assument la responsabilité de la vie et du développement de l'enfant, mais aussi celle de la continuité du monde. Ces deux responsabilités ne coïncident aucunement et peuvent même entrer en conflit. En un certain sens, cette responsabilité du développement de l'enfant va contre le monde : l'enfant a besoin d'être tout particulièrement protégé et soigné pour éviter que le monde puisse le détruire. Mais ce monde aussi a besoin d'une protection qui l'empêche d'être dévasté et détruit par la vague des nouveaux venus qui déferle sur lui à chaque nouvelle génération (...) si l’on considère la vie et son évolution, l’enfant est un être en devenir, tout comme le chaton est un chat en devenir. Mais l’enfant apparaît dans un monde qui existait avant lui et qui existera après sa mort et dans lequel il passera sa vie. Toute vie, et non seulement la vie végétative, émerge de l’obscurité, et si forte que soit sa tendance naturelle à se mettre en lumière a néanmoins besoin de l’obscurité pour parvenir à maturité » (p. 238-239).


Être humain en devenir, l’enfant ne connaît pas le monde et doit y être introduit petit à petit. C’est par l’école que l’enfant fait sa première entrée dans le monde. Or, « l’école n’est en aucune façon le monde ». C’est, selon l’expression d’Arendt, « l’institution qui s’intercale entre le monde et le domaine privé que constitue le foyer pour permettre la transition entre la famille et le monde ». À travers l’obligation de scolarisation imposée par l’État, l’école représente le monde bien qu’elle ne le soit pas vraiment. Les éducateurs doivent assumer la responsabilité de ce monde, même s’ils le souhaitent différent de ce qu’il est. Pour Arendt, « qui refuse d’assumer cette responsabilité du monde ne devrait ni avoir d’enfants, ni avoir le droit de prendre part à leur éducation ». La compétence de l’éducateur consiste, avant tout, à connaître le monde et à pouvoir transmettre cette connaissance aux enfants en lui disant : « Voici notre monde ». La responsabilité des adultes, envers les enfants et le monde, c’est aussi d’assurer le libre épanouissement  de la qualité unique qui distingue chaque être humain des autres et qui fait qu’il ne soit pas seulement un étranger dans le monde, mais « quelque chose qui n’a jamais existé auparavant ».


La réflexion philosophique sur la naissance apparaît à la limite de l’impraticable parce que la naissance est une expérience de la limite. Mais est-il possible de réfléchir sur le sens de l’acte qui consiste à faire naître, à engendrer et à enfanter ? Enfanter, c’est agir ; et c’est donc à partir d’une philosophie de l’action que peut se découvrir l’un des sens de la naissance. Le rapport entre la naissance et l’agir a été souligné par Françoise Collin, dans une réflexion inspirée par celle d’Arendt :


« Agir c’est toujours répondre à l’appel de l’inattendu, laisser surgir le nouveau en exerçant sa vigilance dans le creuset de la circonstance. La fin de l’agir n’est pas présente et elle est irreprésentable. Agir a rapport à la naissance : c’est se remettre au monde et mettre au monde. Et la naissance est toujours co-naissance (non connaissance) : rapport à la pluralité humaine qui est l’essence même du politique (alors que la philosophie se réfère traditionnellement au mourir comme retrait dans l’isolement) » [Françoise COLLIN, Colloque Hannah Arendt. Politique et pensée, Payot, 2005, p. 140].


Que signifie donner naissance ? Rappeler le poids du déterminisme, de l’instinct de conservation et de reproduction, le vain désir de s’immortaliser à travers d’autres que l’on désire semblables à soi, ne dit rien du sens ultime de la naissance. Donner naissance est certes un acte qui mêle l’instinct, l’inconscient et la volonté : engendrer et enfanter relèvent autant de la sphère de la volonté que de celle de la pulsion. C’est certainement un acte libre d’autant plus qu’il s’exerce sur fond de maîtrise de la fécondité. C’est aussi un acte d’obéissance aux grandes lois de la vie, à commencer par celle de la perpétuation de l’espèce.

Que signifie, en dernière instance, donner naissance ? Quels que soient les mobiles ou les motifs de cet acte, donner naissance, c’est, qu’on le veuille ou non, faire apparaître dans le monde un être nouveau, un être doué de la faculté humaine d’innover, et tout autant un être autre, un être dont l’altérité est essentielle. La naissance d’un enfant signifie l’advenue d’autrui parmi ses semblables. Dans ce sens, l’enfant ne reproduit rien : il est la manifestation de l’altérité ; il est autre et neuf. Plutôt que de reproduction, il vaut donc mieux parler de renouvellement. C’est du moins le sens de la célébration de la natalité qui, de manière inattendue, vient conclure le chapitre de Condition de l’homme moderne de Hannah Arendt, consacré à la promesse et au pardon :

« Le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, “naturelle”, c’est finalement le fait de la natalité, dans lequel s’enracine ontologiquement la faculté d’agir. En d’autres termes : c’est la naissance d’hommes nouveaux, le fait qu’ils commencent à nouveau, l’action dont ils sont capables par droit de naissance. Seule l’expérience totale de cette capacité peut octroyer aux affaires humaines la foi et l’espérance, ces deux caractéristiques essentielles de l’existence que l’Antiquité grecque a complètement méconnues, écartant la foi jurée où elle voyait une vertu fort rare et négligeable, et rangeant l’espérance au nombre des illusions pernicieuses de la boîte de Pandore. C’est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Évangiles annonçant leur “bonne nouvelle” : “Un enfant nous est né” » [Hannah ARENDT, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, 1993, p. 278].

Cette intuition aredtienne permet de comprendre que la natalité, par opposition à la mortalité, est sans doute la catégorie centrale de la pensée politique. Or une telle pensée ne pouvait, à l’évidence, apparaître dans le contexte de la tradition de pensée qui provient de la philosophie grecque, laquelle méconnaît ces deux catégories essentielles pour toute action dont la visée est d’innover, la foi et l’espérance.

Pour que, sous la plume de Hannah Arendt, soit thématisée la naissance, il fallait, parallèlement à la source grecque, puiser à la source biblique, en plus d’Athènes, Jérusalem. La naissance d’êtres humains ne peut pas être comprise comme un simple processus naturel de reproduction de la vie, précisément parce que la naissance est un événement, qui, comme tel, interrompt le processus de la nature : les hommes ne naissent pas et ne meurent pas comme naissent et meurent les feuilles au printemps et à l’automne. Dans la nature, il y a répétition du semblable : « La nature s’imite », écrivait Pascal. La temporalité de la nature est une temporalité que l’on peut qualifier de cyclique et répétitive.

Dans l’ordre humain, il n’y a pas ou peu répétition, et c’est en cela que la naissance est absolument un événement, et la vie de chaque homme n’est pas seulement un processus biologique, mais elle est cet ensemble d’événements que l’on raconte dans une biographie. Aussi, la temporalité humaine est-elle plutôt linéaire :

« La nature et le mouvement cyclique qu’elle impose à tout ce qui vit ne connaissent ni mort ni naissance au sens où nous entendons ces mots. La naissance et la mort des êtres humains ne sont pas de simples événements naturels ; elles sont liées à un monde dans lequel apparaissent et d’où s’en vont des individus, des entités uniques, irremplaçables, qui ne se répèteront pas. La naissance et la mort présupposent un monde où il n’y a pas de mouvement constant, dont la durabilité au contraire, la relative permanence, font qu’il est possible d’y paraître et d’en disparaître, un monde qui existait avant l’arrivée de l’individu et qui survivra à son départ » [Hannah ARENDT, Condition de l’homme moderne, p. 109-110].

La naissance n’est donc pas, pour l’essentiel, un phénomène naturel, mais bien un phénomène qui a une signification symbolique et politique au sens le plus rigoureux de ce terme. C’est pourquoi la naissance est entourée de gestes rituels : porter dans les bras, reconnaître l’enfant, le nommer, l’insérer dans l’espace public, éventuellement religieux, etc. Il est donc absolument nécessaire de ne pas réduire la naissance à un acte exclusivement biologique. Ce qui est naturel, c’est l’usure des choses : la natalité, la venue au monde d’êtres nouveaux interrompt le processus naturel de l’usure, sauve le monde de la ruine.

Une remarque très simple : l’enfant qui naît se nomme un nouveau-né. Que signifie « nouveau » ? Loin d’être « trop vieux pour mourir » (Martin Heidegger), le nouveau-né est un être qui n’a jamais été vu, il apparaît pour la première fois dans le monde et de ce fait même le renouvelle ; comme il est autre, unique, irremplaçable, il ne peut pas être la reproduction de quelque chose de connu.

À en croire Jürgen Habermas, « avec la naissance d’un enfant, quel qu’il soit, c’est non seulement l’histoire d’une autre vie qui commence mais l’histoire d’une vie nouvelle. Pour Arendt, la promesse biblique “un enfant nous est né” continue de projeter un reflet eschatologique sur chaque naissance, qui porte en elle l’espérance qu’un tout autre viendra briser la chaîne de l’éternel retour » [Jürgen HABERMAS, L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?, Gallimard, 2002, p. 90].

 Le nouveau-né s’insère parmi les anciens et précède ceux qui viendront après lui : en lui se révèle la pluralité de l’humanité, constituée d’ascendants, de contemporains, de descendants. Le nouveau-né est un inconnu qui a la capacité de mettre en œuvre des initiatives nouvelles. C’est pourquoi il sauve le monde de la ruine.

Ce thème du commencement provient d’une phrase d’Augustin qu’Arendt cite à plusieurs reprises : « Afin qu’il puisse y avoir un commencement l’homme a été créé avant lequel il n’y avait personne ». Chaque homme est lui-même ce commencement. Il a, du fait de sa naissance, la faculté d’agir, et cette faculté est la liberté humaine. La liberté provient ainsi de la natalité, laquelle peut être comprise comme réellement miraculeuse.

Que la liberté s’identifie avec l’agir, avec la capacité à commencer à nouveau, c’est bien ce dont témoignent non seulement notre expérience, mais aussi le langage : « Le grec archein, remarque Arendt, veut dire commencer et commander, donc être libre, et le latin agere, mettre quelque chose en mouvement, c’est-à-dire déclencher un processus ». En agissant, en prenant des initiatives, « les hommes, ajoute-t-elle, sont capables d’accomplir et accomplissent constamment, qu’ils le sachent ou non, de l’improbable et de l’imprévisible ».

C’est en ce sens qu’il y a bien un miracle de la natalité. La naissance est miraculeuse, non pas seulement au sens où elle peut sembler être un événement qui déroge aux lois de la nature (mais si l’on y songe, chaque naissance est hautement improbable), mais au sens où il y a dans la naissance de quoi susciter l’admiration  —puisque miraculeux ne signifie rien d’autre qu’admirable. Et ce qui suscite notre admiration, c’est précisément cette faculté que le nouveau venu possède, qui est de pouvoir recommencer à nouveau.

Du fait même qu’ils sont de nouveaux venus, les enfants sont nécessairement surprenants, non seulement pour nous, mais aussi pour eux-mêmes. Et bien sûr, lorsque les régimes totalitaires ont, en plus d’étouffer la liberté d’expression, anéantissent la spontanéité de l’homme, rendant ce dernier superflu ; ils ont, par là même, voulu empêcher le renouvellement du monde, en déclarant que certains individus, certaines races ou certaines classes, sont par nature et pour des raisons historiques « inaptes à vivre » :

« Du point de vue totalitaire, le fait que les hommes naissent et meurent ne peut être tenu que pour une entrave désagréable à des forces supérieures. La terreur, en tant que servante obéissante du mouvement historique ou naturel a donc le devoir d’éliminer, non seulement la liberté (…), mais encore la source même de la liberté que le fait de la naissance confère à l’homme et qui réside dans la capacité qu’a celui-ci d’être un nouveau commencement » [Hannah ARENDT, Le système totalitaire, Seuil, 1972, p. 212].

Il y a, dans la pensée politique d’Arendt, un lien fondamental entre la liberté humaine et l’altérité, le fait autrement dit, que les hommes sont autres et plusieurs, puisque la liberté s’enracine dans la naissance comme source d’altérité et de pluralité. La liberté n’est donc pas une propriété de l’homme en tant que tel, la qualité spécifique du sujet humain, mais procède de la dimension intersubjective de l’existence humaine.

Aussi les régimes totalitaires ne détruisent-ils la liberté que parce que leur action a pour fin la destruction de la pluralité des hommes. Pour que la liberté subsiste, il est donc nécessaire que l’on préserve la pluralité des hommes, en laquelle se manifeste cette capacité de commencer quelque chose de nouveau. Il est donc essentiel  —si l’on tient à vivre dans un monde non totalitaire—  que puisse se produire de l’imprévisible, que survienne ce qu’on nomme un événement, autrement dit, en un sens, un miracle. Et l’homme est cet être qui peut, à son insu même, accomplir des miracles, mais il ne le peut qu’en vertu de l’altérité du masculin et du féminin, et de la pluralité humaine qui en résulte.

Cette compréhension de la naissance présuppose une thèse consistant à affirmer de l’homme qu’il est un être du monde. Cette thèse est celle de Heidegger, mais aussi bien d’Aristote, qui soutient que l’homme est un « animal, par nature, politique ». La cité est en ce sens l’espace en lequel s’accomplit l’essence de l’homme.

Sur ce point, la philosophie grecque ne diffère nullement de la philosophie de Heidegger, et si Arendt, en insistant sur le thème de la natalité, se distingue de son maître, elle partage néanmoins, pour l’essentiel, sa conception de la réalité humaine. À cette thèse fondamentale de l’homme comme « être-jeté-dans-le-monde », c’est-à-dire comme être défini par sa mondanité, s’oppose du tout au tout la phénoménologie de la vie déployée par Michel Henry.


Dans sa « Phénoménologie de la naissance », une étude recueillie dans le tome I de Phénoménologie de la vie, Michel Henry propose une compréhension de la naissance fondée sur une critique radicale de la phénoménologie heideggérienne. Cette critique est tout autant une remise en question de l’approche d’Arendt, bien que Michel Henry ne la mentionne pas. Il ne peut être question de restituer ici les tenants et aboutissants de cette phénoménologie radicale de la naissance. Le point de départ est la remise en question de l’opinion selon laquelle naître signifie venir au monde.

Ce que dit le sens commun n’est guère différent de ce qu’affirmerait la philosophie de Heidegger, laquelle est, comme on sait, une philosophie de l’être-au-monde : « L’apparaître qui gouverne l’ontologie traditionnelle, c’est celui du “monde”, soit un apparaître dont la phénoménalité consiste dans l’“au-dehors”. Venir à l’être veut dire dans cette ontologie transcrite dans la phénoménologie sur laquelle elle repose : venir au monde. Mais venir au monde, n’est-ce pas là, aux yeux de tout un chacun, philosophe ou non, ce que veut dire naître ? » [Michel HENRY, « Phénoménologie de la naissance », in De la phénoménologie, t. I : « Phénoménologie de la vie », PUF, 2003, p. 125].

Pourquoi la conception heideggérienne du Dasein comme être jeté dans le monde doit-elle être critiquée ? Parce que, dans cette perspective, tout étant, qu’il s’agisse d’un étant non vivant, donc non sentant, tel qu’une pierre, ou d’un étant vivant, donc capable de sentir et de se sentir lui-même, est vu de même manière, sans qu’il soit possible de fonder la différence entre le sujet et l’objet : « L’apparaître en lequel se montre la pierre est le même que celui auquel s’ouvre le vivant, c’est l’apparaître du monde, l’“au-dehors” » [Idem].

L’enfant qui paraît au monde n’est pas, pour Henry, un être du monde, et ce précisément parce que le monde ne saurait être l’horizon à partir duquel nous pouvons penser l’homme, pour cette raison en vérité fort simple, c’est que l’homme n’est pas un « étant », dans la mesure où il possède la vie, autrement dit ce pouvoir de se sentir soi-même, de s’éprouver soi-même  —pouvoir qu’il partage sans doute avec les animaux, mais des animaux nous ne savons rien, et ne pouvons rien en dire [Cf. Michel HENRY, Incarnation. Une philosophie de la chair, Seuil, 2000, p. 7-8].

En effet, selon Henry, l’homme a pour essence de vivre, et c’est pourquoi il n’est pas défini comme un vivant politique, autrement dit, comme se définissant par le monde. Si la vie s’oppose au concept de monde, c’est parce qu’elle est pure affectivité, jouissance et souffrance, « épreuve infrangible du vivre » [p. 128], et n’est donc pas en dehors de soi, mais elle est intériorité : c’est pourquoi la vie ne peut, par définition, être visible, autrement dit, relever du concept de monde : « Aucun accès au vivre de la vie n’est possible dans l’apparaître d’un monde » [p. 129].

Naître, ce n’est ainsi en aucune façon venir au monde. Naître signifie bien plutôt venir à la vie  —c’est-à-dire venir de la vie et dans la vie. Pour bien saisir ce que signifie cette thèse, il convient de souligner que cette phénoménologie de la naissance ne porte pas sur la naissance d’un sujet empirique, mais s’efforce de déterminer le sens d’une naissance originaire, que Henry nomme « Ur-naissance ». C’est en dégageant les caractères de cette naissance originaire de l’homme originaire, nommé l’« ego vivant », qu’il sera possible de donner un sens à la naissance d’hommes singuliers.

Dans cette perspective, « venir dans la vie veut dire venir de la vie, de telle sorte que la vie n’est pas, si l’on peut s’exprimer ainsi, le point d’arrivée mais le point de départ de la naissance » [p. 132]. C’est donc la vie qui engendre l’ego comme elle s’engendre elle-même :

« La vie s’engendre elle-même dans le procès de son auto-affection éternelle, procès en lequel elle vient en soi, s’écrase contre soi, s’éprouve soi-même, jouit de soi, n’étant rien d’autre que l’éternelle félicité de cette pure jouissance de soi. Vivre consiste en ce pur s’éprouver soi-même comme pur jouir de soi, n’est possible que de cette façon, n’existe nulle part ailleurs » [Idem].

À partir de ces remarques, qui ne sont pas sans soulever bien des difficultés, notamment liées à la question de la temporalité, conçue par Henry comme auto-temporalisation, on peut parvenir à cette conclusion : nous ne sommes pas nés une fois pour avoir ensuite à mener notre vie propre. Qu’il en soit ainsi, nous le croyons en tant qu’ego vivants pour autant que, mis en possession de chacun de ses pouvoirs, disposant d’eux désormais et les mettant en œuvre librement, chaque ego se vit comme ce centre d’initiative et d’action. Mis en possession de chacun de ses pouvoirs et d’abord de lui-même, l’ego ne l’est toutefois que pour autant que la vie absolue ne cesse de s’auto-affecter en lui, et cela parce qu’il n’y a qu’une seule vie, une seule auto-affection, celle-là même en laquelle l’ego se trouve auto-affecté comme ce soi singulier qu’il est.

Nous ne sommes donc pas nés un jour mais constamment engendrés dans l’auto-engendrement absolu de la vie et en lui seulement. Voilà pourquoi la naissance n’est pas un événement, mais une condition. Cette condition, qui est la nôtre, fait de nous les fils  —les fils transcendantaux de la vie absolue, et non pas les fils des hommes, de ces moi empiriques qui ne sont que l’objectivation des moi transcendantaux… De même que nous sommes des fils de la vie  —n’étant pas nés de tel homme et de telle femme—  nous ne sommes pas nés ici ou là, mais nous sommes nés dans la vie.

Cette compréhension de la naissance comme condition peut être rapprochée de la pensée de Maria Zambrano, qui, à partir d’une méthode toute différente, soutient l’idée voisine selon laquelle la naissance n’est pas un événement, mais plutôt un processus :

« On dirait que tout ce qui est vivant  —que ce soit le sujet d’une vie ou ce qui survient dans la vie d’un vivant—  aspire ou est porté irrésistiblement à se compléter  —germe, embryon qui cherche à finir de naître dans un milieu plus vaste et plus lumineux—  où sa totale apparition serait possible, sa totalité interminable. Un milieu, dirions-nous, où le temps est fécondé par la lumière » [María ZAMBRANO, Notes pour une méthode, Paris, Édition des Femmes, 2005, p. 91].

Nous n’en avons jamais fini de naître à nous-mêmes  —de devoir toujours extraire de nous-mêmes le milieu en lequel s’accomplit notre naissance, où notre moi se féconde—  non pas dans la solitude, mais dans la relation à autrui.


Synthèse élaborée par Kakule Muvunga-Tardif, a.a.
Secrétaire Provincial d'Afrique

jeudi 1 septembre 2016

LA DIVERSITÉ MINISTÉRIELLE DANS L’ÉGLISE DE BUTEMBO-BENI

LA DIVERSITÉ MINISTÉRIELLE DANS L’ÉGLISE DE BUTEMBO-BENI

Aujourd’hui, premier septembre 2016, le diocèse de Butembo-Beni a eu la grâce d’accueillir en son sein dix nouveaux Serviteurs :

Ø  Deux séminaristes ont reçu le Lectorat.
 
 











 Ø  Deux autres séminaristes ont été institués Acolytes.



Ø  Cinq jeunes, dont un bénédictin Sylvestrin, ont été ordonnés Diacres.








Ø  Un Diacre Sylvestrin a été ordonné Prêtre.





Au cours de l'Eucharistie, treize Prêtres Abbés ont célébré les vingt-cinq ans ( Jubilé d'Argent) de Sacerdoce.
 
C'est Monseigneur Sikuli Paluku Melchisédech, évêque du diocèse de Butembo-Beni qui a présidé à la messe, entouré d'une centaine de prêtres.

 

 



 Propos recueillis par Kakule Muvunga-Tardif, a.a.
Secrétaire Provincial d'Afrique



 

 



 

 

lundi 29 août 2016

PROFÈS ET PROFESSES POUR UNE MÊME MISSION : L’AVÈNEMENT DU ROYAUME !

PROFÈS ET PROFESSES POUR UNE MÊME MISSION : L’AVÈNEMENT DU ROYAUME !

 
En ce vingt-huit août 2016, jour de fête de Saint Augustin, modèle de conversion et de consécration, les Novices de la Congrégation des Augustins de l’Assomption (dits Assomptionnistes) et celles de la Congrégation des Oblates de l’Assomption émettent ensemble leurs premiers vœux de religion : la pauvreté, la chasteté et l’obéissance.



Tout se passe dans un climat de sérénité. Un doux soleil matinal est au rendez-vous. La chapelle des Sœurs Oblates de Malkia Wa Mbingu est pleine à craquer. La chorale d’Enfants Missionnaires d’Alzon scande la liturgie au son allègre et au pas de danse dix-neuf lauréats : treize candidats et six candidates à la profession temporaire dans leurs familles  religieuses respectives.
Les Novices Assomptionnistes dont les noms suivent émettent leurs premiers vœux :

1. KAHUNGU TWABATWA Éphrem

2. KAKULE ISEVAGHENI Anicet

3. KASEREKA KAZIMOTO Moïse

4. KASEREKA VAGHENI Amani

5. KATEMBO MASIMENGO Frédéric

6. KIBALA TARIKO Ferdinand

7. KOLONGO MUSAIDI Bienvenu

8. MUHINDO KAVUSA Moïse

9. MUHINDO MUHIGHINYA Gerlas

10. MUSAFIRI MUHITSYA Jean

11. PALUKU MUTSOTSYA Sédar

12. PALUKU WALIRE Bienvenu

13. MUTSUVA SIVALENDERA Emmanuel




C’est le Révérend Père Provincial Protais Kabila Kalondo qui reçoit les vœux des Novices Assomptionnistes.
 

Les vœux des Novices Oblates sont reçus par la Sœur Continentale Théodosie Kitwana Minene.


L’Eucharistie est présidée par le Père Protais Kabila Kalondo entouré d’une vingtaine de prêtres. Il focalise son homélie sur les fondamentaux de la vie consacrée culminant dans la nécessité d’une gestion saine de la trilogie —argent (l’avoir), femme [(ou/et homme) c’est-à-dire le sexe] et autorité (le pouvoir).


La convivialité de cette journée mémorable nous replonge dans une des vagues les plus cruciales de notre histoire : la "mission d'Orient", ayant comme protagonistes les Assomptionnistes et les Oblates de l'Assomption.
Le vocable "mission d'Orient" est une expression convenue à l'Assomption pour désigner l'apostolat amorcé en Orient par le Père Victorin Galabert en fin décembre 1862, d'après les instructions du Vénérable Père d'Alzon et du Chapitre général de 1862, à la demande signifiée allusivement lors d'une bénédiction du pape Pie IX le 3 juin 1862 accordée à Notre-Fondateur : "Je bénis vos œuvres d'Orient et d'Occident". 
Dans l'esprit du Pape et de la Curie romaine de l‟époque, cette mission entendait orienter l'Assomption du Père d'Alzon en direction des chrétiens orientaux de Bulgarie où le mouvement en faveur d'une union avec Rome s'était esquissé à partir de 1860. Et ce, pour des raisons plus politiques que religieuses : il s'agissait pour les bulgares de se dégager de l'influence russe, de s'émanciper de la tutelle grecque et hellénisante du Phanar, grâce à un rapprochement avec l'Occident. Ce qui leur permettrait de slaviser la liturgie et d'échapper aussi bien à la tutelle politique ottomane qu'à l'ingérence russe. 
Quand le Père Galabert se rendit à Constantinople en décembre 1862, il ne savait ni ce qu'il devait entreprendre ni où il devait s'établir, sans moyens et sans hommes. Le Père d'Alzon fit le voyage sur le lieu en 1863 pour se rendre compte par lui-même de la complexité de la situation. Son rapport final transmis à la Propagande, lors de son retour, fut très mal reçu, soupçonné de vouloir latiniser les orientaux. L'histoire voulut que finalement en janvier 1864 le Père Galabert puisse ouvrir, avec l'aide de Mgr Canova, capucin évêque à Philippopoli des bulgares latins, une modeste école primaire Saint-André. En 1867, il choisit de fixer le centre de la mission à Andrinople, aux portes de Constantinople, malgré la forte opposition des Résurrectionnistes, jaloux de leur priorité sur le lieu. Galabert sut gagner la sympathie de Mgr Popov, évêque catholique des bulgares de rite oriental, dont il devint le vicaire-théologien. Le Père d'Alzon fit tous les efforts possibles pour constituer une petite communauté Assomptionniste dont les membres courageux et persévérants furent les frères Chilier, Alexandre et Jacques, les deux cousins Bonnefoy, Benjamin et François de Sales, ainsi qu'un habile pharmacien, le Père Barthélemy Lampre, mort victime de sa charité en 18783. 
A grands cris, le Père Galabert obtint encore le concours d'auxiliaires féminines pour la mission : écoles, dispensaires, orphelinats, apostolat de charité auprès des milieux bulgares sans distinction de nationalité, de race ou de religion. A défaut des Religieuses de l'Assomption qui ne se sentaient pas prêtes, le Père d'Alzon fonda en mai 1865 la congrégation des Oblates de l'Assomption au quartier de Rochebelle, banlieue du Vigan. 
En 1877, l'Assomption d'Orient connut le baptême du feu, à cause de la guerre russo-turque de libération de la Bulgarie. L'attitude courageuse et même héroïque des religieux et des religieuses assura leur considération auprès de toutes les autorités en guerre, aussi bien russes, bulgares que turques. Mais déjà à cette époque, le Père d'Alzon pensait à la Russie, cœur de l'orthodoxie, comme terre d'élection future pour l'Assomption, dans une perspective de conquête catholique : lutte contre le schisme grec de Photius, "conversion" des schismatiques selon ses propres termes. Il n'y eut d'ailleurs jamais à aucune autre époque d'autre définition claire de l'objectif de cette mission d'Orient. La Bulgarie semblait seulement une terre d'attente et de préparation, utile pour connaître la langue slave, les mœurs, les coutumes et les mentalités de cet Orient bigarré, mais sans perspective d'avenir. La mort du Père d'Alzon en novembre 1880 ne changea immédiatement ni la stratégie ni les objectifs de son successeur, élaborés surtout en fonction des possibilités, des événements et des opportunités. La mission restait une aventure de foi dans un contexte difficile, assez étranger aux autres membres de la Congrégation.
 
 
Synthèse élaborée par Kakule Muvunga-Tardif, a.a.
Secrétaire Provincial d'Afrique